Préambule
Dans l’optique de la clôture 2024, le département consolidation & IFRS du cabinet Aplitec propose une série de publications sur la consolidation à l’attention des directions comptables et financières des Groupes. L’objectif est de faire corroborer la technique consolidée avec la logique business du chef d’entreprise, afin d’éclairer les directions sur une logique qui parait quelquefois bien abstraite…
Dans ce premier volet nous proposons de nous pencher sur le Tableau de Flux de Trésorerie (TFT ou Cash-Flow) souvent négligé dans la stratégie au profit des éléments du compte de résultat. Or, comme le disent les anglo-saxons : « cash is king » !
Nous vous exposons à cette occasion une action stratégique : mettre en place un pilotage de la trésorerie du Groupe en s’appuyant sur cet outil central.
Bonne lecture.
Introduction:
Le tableau de flux de trésorerie est souvent qualifié de « bête noire » des consolideurs, car il n’y a pas d’échappatoire possible : le TFT, dans notre jargon, doit « cadrer ». Cela signifie que l’ensemble des flux cash d’une période donnée doivent être appréhendés et classés correctement dans un état qui doit expliquer comment le cash est généré et utilisé durant cette période.
La contrainte majeure est que cette catégorisation des flux doit simplement correspondre à la différence entre la trésorerie de clôture et la trésorerie d’ouverture.
I. Un outil vital
La plupart des directions d’entreprise s’intéressent au cash-flow trop tardivement, quand la trésorerie se tend. Lorsqu’il n’y a pas de problème de cash, il arrive souvent que l’oracle du pilotage soit représenté par le chiffre d’affaires et/ou l’Ebitda. Dans notre esprit de financier, les performances économiques sont naturellement réalisées en cash.
Or, le cash, c’est l’oxygène de l’entreprise. Sans trésorerie, une entreprise ne survit que quelques jours : comment payer les salaires, le fonctionnement quotidien, le développement ?
Certes, dans un monde idéal, les performances économiques se matérialisent presque immédiatement en trésorerie. Mais cela n’échappe à personne, nous ne sommes pas dans un monde idéal. Tout d’abord, les performances économiques ne se matérialisent pas par elles-mêmes en cash : il faut pour cela du pilotage et des équipes . Mais surtout il existe l’ingénierie comptable permettant de piloter les agrégats économiques.
Le cash, lui, ne peut être purgé. Il ne ment pas : il s’est soit dégradé, soit amélioré. Il est disponible ou il ne l’est pas. Il est dépensé ou pas, il est sur le compte en banque ou pas.
Aussi, suivre l’évolution de son cash, sa source et son utilisation, permet de comprendre la logique de fonctionnement du business de toute structure dans son ensemble.
Et qui comprend, anticipe…
II. Construction du TFT
Commençons par évacuer le point technique. Là où les outils de comptabilité fonctionnent en flux binaires (débit/crédit), les outils de consolidation ajoutent une dimension de nature de flux pouvant se décliner presque à l’infini : augmentation, diminution, reclassement, affectation de résultats, variation de juste valeur… Cette apparente complexité a pour but principal d’établir et d’équilibrer le cash-flow de façon automatique. Il s’agit là du cœur de la technique d’établissement du TFT par les outils de consolidation.
A ce point technique vient s’additionner un sujet normatif. En effet, en France, les normes françaises (ANC 2020.01) et les normes IFRS cohabitent avec plus ou moins de souplesse. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, le cash reste le cash. Un tableau de flux présenté dans l’une ou l’autre norme présentera les mêmes soldes de trésorerie à l’ouverture et à la clôture, et ainsi une variation identique. Il faut donc évacuer cette complexité normative qui n’est donc finalement qu’un sujet de présentation.
De plus, il est possible de construire un TFT partant soit du résultat net, soit du résultat d’exploitation (voire de l’Ebitda). Encore une fois, les éléments de bas de cash-flow (soldes et variation de trésorerie) seront les mêmes.
Le TFT se présente en trois parties, étant entendu qu’il faut garder à l’esprit que tout ce qui n’est pas cash dans la variation du bilan ne doit être présenté dans aucun des agrégats ci-dessous :
- Les flux de trésorerie issus de l’exploitation de l’entité : dit autrement, le cash issu du « daily business ». Nous revenons juste après sur cette catégorie intéressante.
- Les flux issus de l’investissement : il s’agit des sommes allouées à l’avenir du Groupe, dans les actifs immobilisés, dans la diversification ou la croissance externe (ce que l’on nomme les variations de périmètre). Il faut noter que cette catégorie n’inclut pas que les dépenses, puisque les cessions d’immobilisations, donc le cash-in, sont intégrées à cette catégorie.
- Les flux issus du financement : les deux sources principales de financement de l’entité étant les capitaux propres et la dette financière, on trouve dans cette catégorie les augmentations et remboursements de capital, émissions d’actions et cotation en bourse, les dividendes (versés et reçus) et les variations de dettes.
On peut observer que l’ensemble des comptes du PCG (de 1 à 7) sont repris et catégorisés par nature.
Vous pouvez retrouver le tableau en téléchargeant la note en bas de cette page. Vous y retrouverez la construction des grands agrégats à l’aide du plan de comptes.
Marge brute d’autofinancement, BFR et trésorerie d’exploitation : cet indicateur est calculé à l’aide du résultat net duquel on supprime l’ensemble des charges et produits calculés (i.e. sans incidence sur la trésorerie, comme les dotations aux amortissements et provisions, les plus ou moins-values de cessions, les variations de juste valeur, etc.).
Cet indicateur représente le potentiel de cash qu’une entité peut générer sur la période par son activité courante. Par la suite, on corrige ce potentiel par le cash réalisé : la variation du besoin en fonds de roulement, c’est à dire ce qui est réellement encaissé et décaissé par l’activité… Une variation de BFR nulle signifie (grossièrement) que la performance économique issue du résultat (ou de l’Ebitda en fonction du point de départ) est conforme à la capacité de trésorerie de l’activité courante. Si la variation de BFR dégrade les performances économiques (i.e. si cette variation est négative), il peut en ressortir des difficultés prévisibles même si la trésorerie générée est positive. En effet, le potentiel de cash issu du résultat n’est pas utilisé à son maximum.
Les variations de périmètre : il s’agit d’un agrégat souvent mal appréhendé alors qu’il est très simple à comprendre. L’acquisition d’une filiale pour un groupe représente un investissement, en témoigne la présence d’un goodwill (le plus souvent à l’actif, nous reviendrons sur la nature de cet actif dans une autre publication). Il est donc naturel que l’impact cash pour le Groupe soit présenté en investissement. L’impact en trésorerie d’une entrée de périmètre représente simplement le prix payé pour acheter cette filiale, corrigé de la trésorerie acquise. Pour tout mouvement de périmètre (acquisition de minoritaire, cession de filiale, etc.), il convient simplement de se demander « quel est le cash net de cette opération, à date ? ».
1 La nouvelle norme IFRS 18 s’oriente vers une convergence de la présentation du P&L et du TFT
Ainsi, les compléments de prix non encore décaissés ne doivent pas apparaitre dans le cash-flow. Ce point est important car il peut arriver que les compléments de prix soient comptabilisés en dette courante et se retrouvent finalement en BFR, ce qui peut déséquilibrer le TFT et communiquer une information erronée, puisqu’aucun cash n’est encore sorti !
III. Quelques éléments de pilotage à l’aide du TFT
Nous connaissons tous le schéma courant de croissance d’un produit ou d’une entreprise : phase de préparation, phase de croissance et phase de déclin. C’est un schéma explicite et compréhensible, mais qui ne fait mention que des performances économiques.
Nous pouvons proposer d’y introduire les phases de consommation et de création de cash par nature du TFT. Dans le graphique ci-après, la courbe rouge est celle exposée le plus souvent, à savoir la performance économique globale :
Durant la période de lancement en phase 1 apparaissent de forts besoins de financement permettant d’investir dans la croissance. La baisse des besoins de financement s’explique par la création de trésorerie d’exploitation, qui doit être fléchée vers l’investissement. La phase 2, période de croissance et de maturité, permet de stabiliser l’investissement et le financement. En fin de période 2, entre les pointillés, des dividendes permettent un retour sur investissement vis-à-vis des actionnaires. C’est la période idéale de sortie des LBO car les investissements ont été totalement amortis et l’exploitation bat son plein. En phase de déclin s’opère le déphasage : l’entretien des actifs nécessite de nouveaux investissements sans rentabilité correspondante…
Durant la phase de vie, l’évolution du TFT se présente ainsi :
Phase 1
Natures Soldes
Flux de trésorerie d’Exploitation 10
Flux de trésorerie d’Investissement -75 Phase d’investissement qui nécessite de lourds financements
Flux de trésorerie de financement -100
Variation de trésorerie -165
Phase 2
Natures Soldes
Flux de trésorerie d’Exploitation 220
Flux de trésorerie d’Investissement -15 L’exploitation permet de financer l’activité
Flux de trésorerie de financement -20
Variation de trésorerie 185
Phase 3
Natures Soldes
Flux de trésorerie d’Exploitation 90
Flux de trésorerie d’Investissement -75 Fin de vie, de lourds investissements sont nécessaires au maintien de l’activité
Flux de trésorerie de financement -10
Variation de trésorerie 5
Il est intéressant, pour une entité ou pour un groupe, de s’interroger sur l’adéquation entre son cycle économique (ligne rouge) et ses performances de trésorerie, par nature (autres lignes). Cela permet de valider la cohérence de son business et d’envisager des actions stratégiques.
Pour certains Groupes, une granularité plus fine permet d’optimiser les opérations de cash-pooling. Combien de Groupes financent leurs filiales par un outil de trésorerie centralisée, s’endettant pour leur compte car « quoi qu’il en soit le cash reste dans le Groupe ». Certes, les comptes courants sont éliminés dans les comptes consolidés, mais le cash dépensé par la filiale finit bien à l’extérieur du Groupe…
Combien de Groupes placent des objectifs de cash à leurs filiales, permettant un ROI sur ce cash prêté ? La plupart ne fixent que des objectifs économiques (Ebitda), sans tenir compte des effets cash…Et comme vu précédemment, si le pilotage des résultats économiques est possible (et donc potentiellement sujet à discussion), le pilotage du cash l’est beaucoup moins.
A l’aide d’un TFT individuel par filiale, établi périodiquement à partir de la comptabilité et remonté à la direction financière, il est possible d’ajouter un élément de performance aux filiales et ainsi remonter du cash sous forme de dividendes ou de remboursement de comptes courant, au lieu de laisser dormir et gonfler indéfiniment des intercos au prétexte que « quoi qu’il en soit ils sont éliminés en consolidation ».
Le cash dormant au sein des filiales est une trésorerie facilement disponible. A titre d’exemple, il est possible de mettre en place une stratégie reposant sur la génération de cash d’exploitation semestrielle pour la détermination du dividende ou pour entamer une phase de remboursement de compte-courant, après la période de financement et d’investissement.
Conclusion :
L’Ebitda est une donnée cruciale de gestion mais il ne doit pas être l’alpha et l’omega des Groupes. Les trois indicateurs que sont le résultat d’exploitation (ou l’Ebitda), la marge brute d’autofinancement et la variation de BFR doivent être rapprochés et analysés dans le cadre d’une comparaison des performances économiques et des performances de trésorerie du Groupe et des filiales.
Un groupe géré de façon saine (en « bon père de famille ») suivra un modèle proche de celui exposé dans cet article. Un fléchage de trésorerie trop rapide envers les dividendes au détriment de l’investissement lui sera préjudiciable. Bien entendu, tous les business ne se ressemblent pas mais l’idée centrale demeure, celle de la mise en place d’un outil de pilotage et de prévision de la trésorerie, au niveau local et consolidé afin de ne pas être pris au dépourvu et devoir gérer en « pompier » une situation critique pour la survie du Groupe. Le tout s’inscrit dans une démarche globale de suivi de la performance économique et de sa cohérence d’ensemble.
Nous pouvons même envisager une séparation du cash-flow par dimensions : zone géographique, activités, voire isoler la stratégie RSE, permettant d’identifier les performances socio-environnementales du Groupe.
Et vous, êtes-vous prêt à mettre en place la deuxième jambe au pilotage de votre groupe après le reporting économique : le reporting cash ?
Les équipes Consolidation & IFRS du cabinet Aplitec sont à votre disposition pour la mise en route d’un tel projet.
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Cette fiche contient des informations résumées. Merci de nous contacter pour un conseil adapté à votre situation. Nous ne pouvons être tenus responsables d’une interprétation erronée